La petite utopiste évolutionnaire : CHANGEONS INDIVIDUELLEMENT POUR CHANGER LE MONDE.

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AL 721: REMÈDE MIRACLE?



SOURCE : Science&Vie mensuel n° 819 - décembre 1985

Extrait du jaune d'œuf, cet élixir permettrait aux alcooliques et aux drogués de sur­monter l'état de manque, rajeunirait le cerveau, augmenterait la résistance à l'infection et serait, en plus aphrodisiaque !

 

Un élément du jaune d'œuf comme remède à l'excès de cholestérol, d'alcool et de drogues, et comme "sérum de jeunesse" ? Idée apparemment bizarre. Et pourtant... La déficience de certaines cellules, en particulier celles du cerveau et du système immunitaire, est liée à des perturbations membranaires. En effet, la membrane ne joue pas seulement le rôle d'un isolant entre l'intérieur et l'extérieur de la cellule, mais intervient de manière active dans la plupart des grandes fonctions vitales. Sa structure répond au modèle de la "mosaïque fluide", décrit pas Singer et Nicolson en 1972: c'est un tissu de lipides complexes, ou phospholipides, émaillé de protéines de forme globulaire. Chaque lipide possède un pôle qui attire l'eau (ou hydrophile), qu'il s'agisse d'eau intra ou extracellulaire, et un pôle qui est imperméable à l'eau (ou hydrophobe), tourné vers l'intérieur de la membrane. I1 existe donc une couche interne de la membrane, constituée de graisses ou lipides, et qui est hydrophobe.

  Les protéines, elles, jouent le rôle de récepteurs sur lesquels vont s'accrocher des substances messagères des influx nerveux, les neurotransmetteurs. Elles sont dites, soit intrinsèques, profondément inclues dans la matrice, soit extrinsèques, se tournant vers la face interne ou externe de la membrane. Fait essentiel: la membrane cellulaire n'est ni rigide, ni inerte. Cet agencement en mosaïque a l'avantage de permettre la souplesse de fonctionnement: les lipides peuvent se déplacer ou au contraire s'immobiliser selon les événements extérieurs (modification de température, pénétration de diverses molécules dans la cellule), tandis que les protéines flottent et se déplacent librement d'un point à l'autre sans dépense d'énergie. Le maintien homéostatique de cette fluidité membranaire est essentiel pour le fonctionnement normal de la cellule. Toute augmentation de la viscosité ou de la rigidité change l'activité cellulaire en altérant la perméabilité de la membrane et la capacité de liaison des récepteurs protéiques.

  La rigidification membranaire est une des premières conséquences de l'intoxication des cellules par la drogue ou l'alcool, mais apparait aussi comme étant l'évolution inéluctable du vieillissement cellulaire. Elle s'explique en partie par l'incorporation de cholestérol dans la membrane: en effet, l'augmentation du rapport cholestérol/phospholipides membranaires est responsable d'une hyperviscosité. Cette constatation est à l'origine des recherches d'une substance capable de restaurer la fluidité des membranes lésées par l'alcool, la drogue ou simplement par l'âge. La cellule retrouvant sa souplesse, les fonctions cellulaires seraient rétablies dans leur intégrité.

  On a d'abord utilisé un type de lipide complexe, une lécithine, la phosphatidylcholine, qui est naturellement présente dans la membrane. Mais parce qu'elle est rapidement métabolisée, elle n'a pas le temps d'intervenir dans les échanges lipidiques et elle s'est donc avérée un mauvais fluidifiant. On a alors étudié plusieurs sortes d'associations de lipides avant d'en arriver à l'AL 721, extrait à partir du jaune d'œuf. C'était bien la préparation optimale. Cet Active Lipid (AL) contient 70 % de lipides neutres, 20 % de phosphatidylcholine, la lécthine citée plus haut, et 10% de phosphatidyléthanolamine. Son action in vitro ne laisse aucun doute: quand on incube des lymphocytes humains en présence d'AL 721, la fluidité membranaire (mesurée par polarisation fluorescente) augmente de 35% en moins d'une heure. Le marquage radioactif des différents constituants de la membrane met en évidence son mode d'action: ce produit provoque une extraction du cholestérol membranaire et rétablit ainsi une viscosité normale.

  On envisage de traiter avec l'AL 721, l'alcoolisme, qui altère les fonctions du foie, du cœur, des muscles, du système endocrinien et de l'appareil digestif. En effet, si l'alcool est bien un fluidifiant membranaire, son excès, l'alcoolisme, entraîne une rigidification de la cellule en incorporant le cholestérol: c'est ce que l'on appelle l'adaptation visqueuse. Cette capacité des membranes à modifier leur composition chimique pour maintenir leur équilibre serait à l'origine des deux phénomènes observés à la suite de l'ingestion répétée d'alcool: l'accoutumance et la dépendance. L'organisme humain s'habitue à sa dose quotidienne d'alcool et finit par ne plus pouvoir s'en passer, parce qu'au niveau cellulaire d'abord la membrane s'habitue a cet agent fluidifiant et s'est organisée pour contrebalancer son action.

  Que se passe-t-il quant l'apport d'alcool est brutalement stoppé ? La membrane cellulaire est privée du même coup de l'action fluidifiante de cet alcool à laquelle elle s'était accoutumée. Ayant incorporée une quantité importante de cholestérol pendant toute la durée de l'imprégnation éthylique, elle est devenue hypervisqueuse. Le retour à une fluidité membranaire normale demande plusieurs jours. Ce serait pendant cette période que s'observeraient les symptômes caractéristiques de l'état de manque qui se traduit par une hyperexcitabilité des récepteurs protéiques. À partir de la connaissance de ce mécanisme, est née l'hypothèse qu'un traitement capable de fluidifier les membranes cellulaires pourrait prendre le relais lors de l'arrêt de l'alcool et faciliter ainsi le sevrage et la désintoxication.

Après les travaux in vitro, des expérimentations sur l'animal ont démontré aussi l'efficacité de l'AL 721 comme fluidifiant. Des rats rendus éthyliques par un ajout quotidien d'alcool à leur alimentation présentent, lors de l'arrêt brutal de cet apport, tous les signes d'un état de manque: tremblements diffus, secousses de la tête, claquement des dents, hypertonicité du corps et des membres, troubles de la conscience. Après traitement par AL 721, tous ces symptômes sont diminués. On se propose d'extrapoler ces résultats au traitement de l'alcoolisme humain, car avec l'AL 721, on peut donc envisager une désintoxication plus rapide qu'auparavant.

  L'AL 721 a également été testé chez des souris morphinomanes. Une des principales caracté­ristiques des opiacés est leur forte affinité pour les récepteurs membranaires. Des expériences pratiquées sur des cellules cérébrales de souris montrent que lorsqu'on augmente la microviscosité de la membrane en lui incorporant du cholestérol, on augmente de façon pro­portionnelle la capacité de liaison des récepteurs aux opiacés. Et l'usage chronique de ces drogues entraîne, comme l'alcoolisme, un phénomène d'adaptation membranaire: les effets fluidifiants de la drogue sont contrebalancés par une augmentation du contenu en cholestérol. Si l'intoxication cesse brutalement, les cellules, surtout les cellules cérébrales, restent quelque temps hypervisqueuses et les récepteurs membranaires témoignent d'une hypersensibilité vis-à-vis des opiacés. Or, des souris ayant reçu pendant 8 jours une injection quotidienne de morphine, manifestent, dès l'arrêt au neuvième jour, les symptômes d'un état de manque: agressivité, diarrhées, tremblements, mouvements anormaux. Tout s'atténue si les souris ont reçu du troisième au huitième jour de l'AL 721 par voie buccale et lors du neuvième jours de l'AL 721 par voie intrapéritonéale.

Tout le monde n'est heureusement pas alcoolique ou drogué, mais tout le monde vieillit. Et, ô merveille, l'AL 721 pourrait également agir en tant que traitement de la sénescence. En effet, le vieillissement cellulaire, et par là celui de l'organisme, s'accompagne d'une augmentation du rapport cholestérol sur phospholipides membranaires et donc d'une augmentation de la microviscosité. Ces deux facteurs s'accentuent progressivement et entraînent une altération des fonctions cellulaires: activité enzymatique, bonne réponse aux neurotransmetteurs, et capacité de stocker l'énergie ou phosphorylation des protéines. Ces bienfaits sont particulièrement nets sur les cellules cérébrales et celles du système immunitaire, atteintes ou même déséquilibrées au fur et à mesure que l'âge avance. D'où l'infection et le fléchissement des facultés intellectuelles.

  In vitro, des lymphocytes issus du thymus de souris âgées ont une moins bonne réponse aux substances capables d'induire une prolifération cellulaire que des lymphocytes de souris jeunes. Or, après traitement par AL 721, ces mêmes lymphocytes âgés retrouvent les capacités des jeunes lymphocytes et se multiplient de façon identique. En ce qui concerne les cellules cérébrales, on a noté dans les cerveaux de souris âgées, tout comme chez l'homme, qu'il n'y a plus que des sites récepteurs pauvres de la sérotonine, ce neurotransmetteur qui règle en partie le sommeil, la libido et le comportement, alors que, dans le cerveau de souris jeunes, il y a à la fois des sites pauvres et riches. Pourquoi cette baisse du nombre des récepteurs? À cause de la baisse de leur synthèse et de l'augmentation de leur dégradation enzymatique. Or, l'AL 721 restaure la réceptivité à la sérotonine des cellules cérébrales âgées à un niveau identique à celui des cellules jeunes. Il protège aussi les récepteurs membranaires de la destruction par les enzymes, probablement parce qu'il y incorpore des phospholipides, ce qui rétablit leur fluidité de membrane.

  Après ces expériences aussi prometteuses chez l'animal, l'AL 721 est maintenant testé sur l'homme. Récemment, le Pr A. Klajman et le Dr Rabinovitz, médecins au MeirHospital (Kfar Saba), en collaboration avec le Pr Shinitzky ont entrepris des études cliniques. Tout d'abord, l'AL 721 est-il inoffensif ? C'est apparemment démontré: neuf volontaires âgés de cinquante ans ont reçu pendant six semaines un apport quotidien d'AL 721 dans leur régime alimentaire. Au terme de cette période, tous les sujets ont constaté une augmentation de la libido et trois ont grossi de 1 kg. Les analyses de sang, d'urine (mesure du pH, recherche de protéines et de glucose) et la mesure de la pression artérielle restent les mêmes avant et après l'expérience.

Le produit est-il efficace chez l'homme dans la restauration des fonctions immunitaires? Autres vérifications: seize volontaires âgés de plus de 75 ans et présentant une vulnérabilité à l'infection liée à leur âge, ont aussi reçu un apport quotidien d'AL 721 dans leur alimentation. Au bout de sept jours de traitement les lymphocytes péiriphériques prélevés par ponction sanguine sont beaucoup plus réactifs qu'ils ne l'étaient avant l'expérience, quand on les met in vitro en présence de substances mitogènes. Après trois semaines de traitement, la réponse aux mitogènes des lymphocytes de ces sujets âgés est identique à celle obtenue avec des lymphocytes de sujets jeunes. Ces lymphocytes âgés, redevenus capables de se multiplier, sont également capables de défendre l'organisme contre l'infection. Le rôle joué par l'AL 721 est prouvé par le fait que ce "rajeunissement cellulaire" bénéfique disparait, hélas, dès qu'on arrête le traitement.

  L'AL 721 a été également testé sur des enfants atteints de mucoviscidose. Cette maladie génétique à transmission autosomique récessive est liée à une anomalie des glandes exocrines, qui sécrètent un mucus trop visqueux. L'évolution se fait vers une fibrose kystique du pancréas. Puis le mucus bronchique trop épais, obstrue les bronches ce qui favorise les infections secondaires, lésant les poumons. La moitié des enfants atteints meurent avant l'âge de vingt ans par insuffisance respiratoire. On estime qu'aux États-Unis une personne sur vingt est porteuse du gêne de cette maladie contre laquelle il n'existe pour l'instant aucun traitement efficace.

  En 1984, on a découvert que le dysfonctionnement des cellules épithéliales des sujets malades de mucoviscidose (qui possèdent donc les 2 gènes de la maladie) se résume à une réduction du transport de l'ion chlore. Or in vitro, l'AL 721 rétablit cet échange cellulaire. Le Dr Motta et l'équipe du service pédiatrique du centre hospitalier régio­nal de Clermont-Ferrand, ont donc décidé d'essayer l'AL 721 chez des enfants atteints de mucoviscidose et jusque-là traités seulement par kinésithérapie et antibiothérapie. Chaque enfant reçoit une ou deux fois par jour de l'AL 721 en inhalation, ce qui permet une action directe au niveau des bronches. L'utilisation de l'AL 721 entraîne une diminution de la toux, une amélioration de la respiration et une meilleure expectoration. Le mucus bronchique devient plus fluide. Il semble d'ailleurs que l'AL 721 intervienne non seulement sur les cellules épithéliales sécrétrices, mais aussi sur le mucus lui-même. Le mucus pathologique, très visqueux et cohérent, se désorganise complètement en présence d'AL 721 et retrouve alors une fluidité proche de la norma­le. L'AL 721 pourrait peut-être éviter l'évolution jusqu'alors inéluctable vers une insuffisance respiratoire fatale.

  Mais peut-être est-ce le SIDA qui confère une actualité particulière à l'AL 721. En effet, nouvel épisode de la guéguerre médicopolitico scientifique de part et d'autre de l'Atlantique: Gallo et son équipe (Farin, Scheer, Crews, Lippa) ont publié une communication étonnante dans le New England Journal of Medecine, le 14 novembre 1985. C'est un peu la réponse du berger sidologue aux cyclosporeux de Laennec ( les Prs Andrieu et Even et le Dr Venet), qui ont donné il y a un mois et demi cette retentissante conférence de presse assortie d'un communiqué du secrétariat d'état à la San­té, au sujet de la cyclosporine et de son utilisation dans le SIDA.

Que dit Gallo? Qu'en fin de compte aucun des agents capables d'inhiber la transcriptase inverse, l'arme des rétrovirus pour pénétrer les cellules, n'est un véritable médicament quand il est utilisé chez les malades du SIDA (malgré une efficacité certaine sur le virus en culture), du fait de sa toxicité. Les futures stratégies de traitement antiviral devront utiliser une découverte toute récente: on sait que le virus, pour être infestant, doit posséder sur sa membrane extérieu­re un site actif qui s'attacherait a un récepteur sur la membrane de la cellule-cible de l'hôte. Et l'on sait que l'on peut diminuer cette infectivité du virus avec des anticorps monoclonaux qui s'attachent à ce récepteur et le protègent contre l'infection par le virus.

  Mais on vient de l'apprendre, l'AL 721 peut modifier le site actif de la membrane du virus, en extrayant le cholestérol de la dite membrane, et donc en bouleversant son architecture. Gallo et son équipe ont ainsi ren­du résistante une culture de lymphocytes T en lui adjoignant de l'AL 721. On pourrait se dire, après tout, que cette lignée cellulaire, habituellement utilisée pour tester des médicaments contre le SIDA, est si transformée, qu'elle n'a plus rien ou peu de choses à voir avec un lymphocyte Thelper normal; un tel résultat ne serait donc pas forcément probant. Ce qui l'est plus, c'est que l'AL721 marche aussi sur les lymphocytes normaux du sang périphériques de volontaires sains: eux aussi deviennent résistants à l'infection par le virus quand on leur ajoute de l'AL 721, comme les Israeliens l'avaient d'ailleurs indiqué.

  Restait à mesurer cette belle résistance selon l'infectivité du virus, donc à mesurer aussi celle ci. Comme mesure de cette infectivité, les Américains ont dosé l'enzyme transcriptase inverse, produite par le virus et les protéines P15 et P24 constituants centraux du virus et servant de marqueurs biologiques. Toutes les fois qu'ils ont utilisé de l'AL 721, ces marqueurs biologiques étaient significativement diminués, témoignant de la baisse de l'infection du virus LAV, le rétrovirus associé au SIDA. Pour Gallo, l'AL 721 est donc bien un viricide puissant et original: en effet, il ne fonctionne pas comme les classiques viricides qui, eux, agissent une fois que le virus est entré dans la cellule, en inhibant les transcriptases inverses (cette arme de rétrovirus).

Mais, en l'état actuel des connaissances, avoue Gallo, d'une part on ne sait pas si l'AL 721 agit surtout sur l'enveloppe virale (modifiant le site actif) ou sur la membrane de la cellule-cible, le lymphocyte T (modifiant son récepteur hypothétique au rétrovirus LAV HTLV). D'autre part, si les essais sur l'homme de ce nouveau médicament ont commencé, on n'a pas encore fait la preuve par neuf sur les malades atteints du SIDA. On peut avoir de l'espoir, c'est tout. Gallo le concède implicitement dans sa lettre au New England Journal of Medecine, puisqu'une seule phrase y fait allusion aux essais préliminaires chez le volontaire sain, sans publier de résultats confortant cette assertion. Les seuls tableaux publiés avec cette lettre concernant les résultats in vitro et l'infectivité sont d'ailleurs, selon des chercheurs français, une indication d'un effet antiviral partiel, rien de plus.

Sylvie Gabriel et Jean-Michel Bader



20/10/2009
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